Aucune célébration tant que je suis empêchée de voyager sans l'autorisation de mon père

Saviez-vous que dans mon pays, la Tunisie, qui prétend être un pays de liberté pour les femmes, lorsque vous avez moins de 35 ans et que vous voyagez vers un pays africain, l'Égypte, l'Arabie saoudite ou la Turquie, vous avez besoin d'une autorisation de votre père, signée par le chef de famille à la municipalité (l'administration régionale officielle), afin de vous permettre de voyager, ou le gouvernorat peut vous en empêcher ?

Certains d'entre vous se souviennent peut-être de l'incident où on m'a empêchée de voyager en septembre 2019 en Égypte en tant que conférencière scientifique. J'ai dû appeler mon père pour qu'il vienne signer un document absurde à l'aéroport de Tunis-Carthage pour me permettre de partir. À l'époque, il y a eu une réponse officielle du président de la République et des excuses du directeur de l'aéroport dans un appel téléphonique à mon père. Mais quatre ans ont passé et rien n'a changé.

Chaque fois que je me retrouve contrainte de voyager depuis la Tunisie, je me retrouve obligée de présenter cette déclaration signée par mon père, alors que j'ai voyagé plusieurs fois directement de France en Afrique sans que les douanes françaises me demandent quoi que ce soit. Je ressens une honte profonde et un sentiment d'indignité face à cette situation, surtout lorsque je me rends en mission officielle pour une grande institution.

Il est absurde de considérer que cette mesure protège la Tunisie du terrorisme, car les terroristes sont plus intelligents que cela... Et c'est une honte d'empêcher une femme comme moi de voyager tout en prétendant que la Tunisie est un pays de libertés... La loi tunisienne se bat farouchement pour les droits des femmes.

Parfois, je m'imagine après la mort de mon père (que Dieu prolonge sa vie), et si je ne me marie pas, qui signera ce document ? Ai-je besoin de me marier pour être une femme libre ? Monsieur le Président de la République, donnez-moi la liberté de voyager... Donnez aux femmes tunisiennes leur liberté de voyager... Il n'y a aucune fête à célébrer car mon pays est une prison pour moi.

Articles de l'auteur

Nouha Belaid

Docteure en sciences de l'information et de la communication et titulaire d'une maîtrise en droit public. Elle est la fondatrice et rédactrice en chef du premier site de journalisme citoyen en Afrique et dans le monde arabe, "Qu'est-ce qui se passe ?". Elle est également la fondatrice du Forum des journalistes scientifiques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Elle a commencé sa carrière dans le domaine du journalisme en 2008 avant de rejoindre l'université en tant que professeure en 2013. Actuellement, elle travaille en tant que formatrice et consultante internationale en communication et en journalisme de la santé, collaborant avec diverses organisations telles que les Nations Unies, l'Union européenne, le Programme des Nations Unies pour le développement, la Fondation Friedrich Naumann, l'Académie Deutsche Welle, et d'autres. Elle a mené de nombreuses recherches et rédigé plusieurs ouvrages, dont le manuel de vérification des informations, le manuel du journalisme de données et un ouvrage sur la communication politique via Facebook.