Ce que le ministère de l’Intérieur appelle une assignation à résidence est en fait une détention
Communiqué de l'Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)
Vendredi, 31 décembre 2021 au matin, Maitre Nourredine Bhiri, avocat, ex-ministre de la Justice et haut cadre du parti Ennahda a été arrêté sans mandat par des agents de police et conduit dans un lieu de détention secret. Les avocats de Me Bhiri ont affirmé avoir contacté le ministère de l’Intérieur pour rendre visite à leur client mais n’avoir reçu aucune réponse.
Selon le ministère, Me Bhiri a été assigné à résidence en toute légalité et dans le respect des garanties procédurales. En réalité, le sort réservé à Me Bhiri s’apparente bien plutôt à une détention arbitraire.
Une assignation à résidence, pour être légale, doit être fondée sur un texte de loi, être nécessaire, proportionnelle à l’objectif qu’elle vise – en l’occurrence la protection de l’ordre public – et faire l’objet d’un contrôle prompt et sérieux par une autorité judiciaire indépendante.
La prétendue assignation imposée à Me Bhiri n’est pas fondée sur une loi, mais sur un décret présidentiel décrété il y a plus de quarante ans. Aucune notification écrite n’a été fournie à Me Bhiri précisant les raisons précises de son assignation et en quoi cette mesure est nécessaire à la protection de l’ordre public. Me Bhiri a été privé de tout contact avec ses avocats. L’absence de notification écrite de l’assignation et l’impossibilité d’entrer en contact avec un avocat constituent des violations graves des garanties procédurales d’une personne privée de liberté et une violation concomitante du droit à contester la légalité de la mesure devant une autorité judiciaire.
En outre, l’assignation de Me Bhiri ayant lieu dans un endroit clos dont il ne peut pas sortir, il s’agit bien d’une détention au sens du droit international et pas seulement d’une restriction à la liberté de circulation. Une détention parfaitement arbitraire et d’autant plus illégale que le lieu de détention a été maintenu secret jusqu’au transfert du détenu à l’hôpital. En droit pénal tunisien, une telle détention peut être qualifiée de crime d’enlèvement et séquestration.
D’après les informations communiquées par le ministère de l’Intérieur, une autre personne est assignée à résidence dans les même circonstances que Me Bhiri. Si cette personne est assignée dans un lieu clos dont elle ne peut pas sortir librement, elle est donc elle aussi victime de détention arbitraire.
De nombreux autres Tunisiens sont victimes d’assignations à résidence arbitraires. Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas de détention mais de restriction à la liberté de circulation, car les individus concernés sont assignés à un quartier ou à une localité. La mesure n’en est pas moins arbitraire car elle est toujours dénuée de fondement légal. En outre, dans la quasi-totalité des cas, les personnes assignées ne sont pas informées des motifs exacts de leur assignation qui doit donc être présumée non nécessaire et disproportionnée. Elles ne reçoivent pas non plus de notification écrite ce qui entrave leur droit à exercer un recours contre la mesure.
Rappelons qu’une assignation à résidence, à plus forte raison quand elle prend la forme d’une détention, engendre des préjudices matériels et psychologiques immédiats et souvent irréversibles. Le préjudice est d’autant plus grave lorsque l’assignation est illégale, comme c’est systématiquement le cas en Tunisie.
Dans bien des cas documentés par SANAD, le ministère de l’Intérieur recourt aux assignations à résidence pour contourner le pouvoir judiciaire, soit parce qu’il n’existe aucune preuve que la personne visée a commis une infraction pénale, soit parce que la personne fait l’objet d’une enquête pénale mais le magistrat enquêteur refuse de la placer en détention préventive.
Selon le ministère de l’Intérieur, Me Bhiri fait l’objet de plusieurs enquêtes pénales. Si le juge enquêteur estime qu’il existe un risque sérieux que le suspect s’enfuie ou détruise des preuves, il peut ordonner son placement en détention préventive et ce dans le respect total des dispositions du code des procédures pénales. Cela n’a pas été le cas et il n’est pas du ressort du ministère de l’Intérieur d’outrepasser les prérogatives de la justice.
L’OMCT demande aux autorités tunisiennes de cesser instamment d’ordonner des assignations à résidence et autres mesures de contrôle administratif arbitraires, dénuées de fondement légal et mises en œuvre en violation flagrante du droit international des droits de l’Homme, notamment l’article 9 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques.
L’OMCT appelle enfin une nouvelle fois les autorités judiciaires – tant le juge pénal que le juge administratif – à jouer leur rôle de protecteur des libertés fondamentales.
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