Le Transport public à Tunis : le naufrage de la politique d'austérité


Les vidéos et témoignages de citoyens s'accumulent sur leurs souffrances quotidiennes dues à la dégradation du transport public en Tunisie. Se déplacer vers et depuis les différentes banlieues de la capitale est devenu une tâche ardue qui nécessite de longues respirations pour attendre les temps de trajet et une plus grande patience pour accepter les conditions misérables des moyens et la détérioration du service fourni. Alors que l’autorité se dérobe à ses responsabilités, et utilise même la situation des entreprises de transports publics dans sa guerre contre la corruption. Il suffit de se référer aux chiffres pour révéler la principale raison de la dégradation des transports publics comme des autres équipements publics, c'est l’austérité.
 
Manifestations de l'effondrement et ses causes
 
Sur la base du rapport de la Transtu pour l'année 2019, qui est le dernier rapport publié sur son site officiel, le nombre de passagers ayant payé sur les réseaux de la compagnie a atteint 180,5 millions. Autrement dit, l'entreprise transporte quotidiennement en moyenne environ un demi-million de personnes via ses réseaux, sans compter les passagers qui ne paient pas la redevance, ce qui est un phénomène très répandu. Ce nombre, qui semble énorme, diminue constamment chaque année.
 
Les rapports publiés à partir de 2014 jusqu'en 2019 montrent une baisse du nombre de passagers sur les différents réseaux de la compagnie passant de 216,4 millions de passagers en 2014 à 180,5 millions de passagers en 2019. 
La perte d'environ 36 millions de passagers sur six ans reflète un effondrement progressif du service de transport public.
 
Il s’agit d’un effondrement qui affecte directement la taille des revenus, aggravant toujours plus la crise. Les recettes d’exploitation sont passées de 54,4 millions de dinars en 2014 à 52,7 millions de dinars en 2019. L’ampleur du déficit de l’entreprise publique (avant redressements comptables) a également doublé au cours de la même période, passant de 107,1 à 202 millions de dinars.
 
De nombreuses raisons peuvent expliquer l'abandon des réseaux de transports publics par les citoyens, principalement liées à l'absence du service lui-même ou à sa détérioration, s'il existe. Le nombre de déplacements effectués par les trois réseaux (bus/métro/train TGM) a diminué de 1 211,4 mille déplacements en 2014 à 1 087,1 mille déplacements en 2019. A cette baisse s'ajoute le pourcentage de déplacements annulés après avoir été programmés sur les différents réseaux accumulés. Le taux d'annulation des déplacements a atteint 40,3% pour le réseau de bus et 27,7% pour le réseau ferroviaire en 2019. 
 
La pénurie de personnel et le manque de matériel représentent les principales raisons d'annulation des déplacements programmés. Les pourcentages de déplacements incomplets pour les deux raisons susmentionnées ont dépassé 70% pour le réseau de bus et 80% pour le réseau ferroviaire en 2019. Ces pourcentages ont probablement continué à augmenter en raison de la poursuite de la crise et de l'amplification de ses causes.
 
Il ne faut pas oublier que ces pourcentages concernent en premier lieu la fourniture des services de transport et non leur qualité. Cela transforme le problème du transport en une crise structurelle résultant de conditions objectives qui reflètent l’ampleur de la faiblesse des investissements dans le secteur des transports. Le processus de transport de personnes repose sur deux éléments fondamentaux : les équipements qui serviront à fournir ce service et les agents chargés de gérer ces équipements. Le manque d’équipement et de personnel révèle l’abandon progressif et continu de l’État dans la fourniture de transports publics aux citoyens. 
 
Ces éléments ont mené à l'usure et à l'obsolescence de la flotte, d'une part, et à une ponction continue du niveau des ressources humaines, ce qui a abouti à l'épuisement du secteur.
 
La disponibilité des véhicules et des agents est liée à l’ampleur de l’investissement de l’État dans les transports publics. Ces deux éléments traduisent la mesure dans laquelle l’État injecte les fonds et les investissements nécessaires pour fournir les moyens humains et matériels nécessaires au service de transport. La politique d'austérité suivie ces dernières années a contribué jusqu'à présent à affaiblir les investissements dans le secteur des transports et ainsi à le fragiliser lentement, ce qui a provoqué une fuite continue d'équipements et de personnel dans le secteur.
 
Un transport public avec des moyens épuisés
 
L’indicateur le plus important du déclin des services de transport est peut-être le dépérissement de la flotte. Ce dernier a connu une nette détérioration qui peut être constatée immédiatement après être descendue dans les rues de la capitale. La taille de la flotte du réseau de bus et du réseau ferroviaire a diminué.


En l'absence de nouveaux rapports sur l'état du parc au cours des cinq dernières années, on peut revenir aux déclarations du président Kais Saied, qui incluait des données indiquant une baisse du parc de bus de 1 439 bus en 2019 à 434 bus en 2024, et une diminution du nombre des métros prêts à l'emploi à environ 40 sur un total de 189.

Cette baisse significative n’est pas due à des raisons circonstancielles, mais s’est accumulée au fil des années. Les achats de véhicules et d'autobus ont diminué, ce qui a empêché le renouvellement du parc et provoqué son usure par l'accumulation d'équipements inutilisables ou impossibles à entretenir.

La faible efficacité de ces achats dans le renouvellement de la flotte se manifeste également à travers un autre indicateur, qui est le pourcentage de la flotte utilisé tout au long de la semaine. En 2019, ce pourcentage n’a pas dépassé un plafond de 43%.
 
Baisse des ressources humaines de l'entreprise : une autre facette de la crise

La politique d'austérité n'a pas seulement affecté la flotte et les équipements, mais a également affecté les ressources humaines de l'entreprise, faisant perdre au service de transport l'un de ses piliers. Au cours de la période 2014 à 2019, le nombre d’agents de l’entreprise, notamment d’agents d’exploitation, a continuellement diminué. Ils représentent l'ensemble des chauffeurs, des surveillants et des agents de billetterie, c'est-à-dire les agents qui exercent l'activité de base du service de transport et gèrent les équipements. 
 
Une diminution du personnel technique chargé de la gestion des entrepôts et de l'entretien des véhicules a également été enregistrée. En seulement six ans, le nombre d'agents d'exploitation dans l'entreprise a diminué de près d'un mille, principalement en raison de départs à la retraite sans suffisamment de missions pour les compenser.
 
D’un autre côté, le discours dominant insiste sur le fait que la crise est le résultat d’une mauvaise conduite d’une part, et qu’elle est un fléau proche de l’État et du faible prix des titres de transport, d’autre part.

Néanmoins, le discours de la logique du profit s’appuie sur le fait que les institutions publiques ne sont pas des entreprises privées et ne sont pas soumises à leur logique et à leurs objectifs. Les transports, l'éducation et la santé sont tous des services publics liés aux droits fondamentaux que l'État, qui perçoit les impôts des citoyens, doit leur assurer.
 
Entretemps, le pouvoir actuel maintient son approche théâtrale face aux problèmes et aux souffrances des citoyens. Le président de la République se garde bien d'aborder la question centrale de la crise du transport public, à savoir l'ampleur des investissements de l'argent public dans ce service. Il intensifie également son discours en évoquant des soupçons de corruption et de complot sans présenter d’alternatives ni de projets pour faire face à l’effondrement en cours.
 
 

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