Non à la Constitution de la concentration des pouvoirs


Après consultation du projet de la Constitution, soumis par le président de la République à référendum populaire le 25 juillet 2022, les Organisations et les associations tunisiennes, réunies le 5 juillet 2022, déclarent que :

1. Le projet de Constitution reflète, dans sa préparation, rédaction et soumission, le caractère unilatéral et individuel du président de la république, qui a, par ailleurs, confisqué le droit des tunisiennes et tunisiens de débattre et de disposer de leur destin et de leur avenir, et d’imposer ses choix et son programme en excluant les composantes de la société civile, politique, et académique.

2. Le projet de Constitution ne présente pas d’avancée majeure par rapport aux défaillances et lacunes de Constitution de 2014. Il représente une régression, notamment en matière du caractère civil de l’Etat couplée à l’abrogation de la référence aux principes universels des droits humains comme source constitutive et se dirige vers une direction opposée à ceux-ci. Il consacre un chevauchement entre religieux et politique en attribuant à l’Etat des prérogatives religieuses contradictoires avec le caractère civil d’un Etat qui fonde sa légitimité sur un contrat social conclut entre ses citoyennes et citoyens et non sur la base d’une légitimité religieuse.

3. Le projet de Constitution torpille les liens de citoyenneté qui unissent les tunisiennes et les tunisiens sans distinction ou discrimination basées sur l’opinion, la couleur ou le sexe. Le projet a, en effet, maintenu la condition relative à la religion du président de la République, à savoir l’Islam. En plus d’un net recul en matière de féminisation de l’écriture juridique, par la suppresion de la disposition qui prévoit que « La candidature à la présidence de la République est un droit reconnu à toute électrice ou tout électeur (…) », rendant la présidence de la République une fonction masculine.

4. Le projet de Constitution supprime les principes de souveraineté et de contrôle populaires sur le pouvoir. Il consacre, en revanche, la concentration des pouvoirs dans les mains du président de la République, au-dessus de toute responsabilité et redevabilité politique ou pénale, bénéficiant d’une immunité absolue et permet à ce dernier de perpétuer l’état d’urgence et les mesures exceptionnelles.

5. Le projet de Constitution porte atteinte au principe d'équilibre des pouvoirs en limitant les pouvoirs des autorités législatives et judiciaires et en les transformant en fonctions nommées et gérées par le chef de l'État. Il s’agit d’une dérive autoritaire non moins dangereuse que la précédente paralysie des institutions de l'État et reproduit les mêmes mécanismes de la décennie du règne d’Ennahdha et de ses alliés.

6. Le projet de Constitution a battu en brèche le principe de l'indépendance de la justice comme pilier de la démocratie et garantie des droits et libertés en dispersant le pouvoir juridictionnel en trois conseils indépendants et sans garantie quant à leur élection et représentation des juges.

7. Le projet de Constitution s’accompagne, dans le chapitre sur les droits et libertés, d’un certain nombre de restrictions, dont « les nécessités de la sécurité publique et de la moralité publique », qui sont des restrictions consacrées aux justifications habituelles de la répression, de la confiscation et des violations des libertés.

8. Le projet de Constitution a supprimé les instances constitutionnelles relatives aux médias, à la justice, à la lutte contre la corruption et aux droits de l'Homme en tant que référence de régulation indépendante. Cette suppression qui est en totale contradiction avec les acquis de la Révolution et des engagements de internationaux de l'État à respecter les règles et les standards internationaux prépare le chemin au retour du contrôle de l'exécutif sur ces domaines vitaux.

Sur la base de ce qui précède et de l'adhésion des organisations et associations tunisiennes aux principes de liberté, de dignité, de démocratie et de souveraineté populaire, portés par la Révolution tunisienne et incarnés par l'Etat civil qui se réfère aux droits et libertés universels, nous proclamons notre rejet du projet de Constitution soumis à référendum et appelons à son retrait et à l'ouverture d'un véritable dialogue national participatif pour mener à bien des réformes constitutionnelles respectueuses de la dignité des tunisiennes et tunisiens et répondant à leurs aspirations à la liberté, l'égalité et la justice sociale.


Les Associations signataires :
 
1) Association Tunisienne Des Femmes Démocrates (ATFD)
2) Ligue Tunisienne Des Droits De l’Homme (LTDH)
3) Syndicat National Des Journalistes Tunisiens (SNJT)
4) Organisation Contre La Torture En Tunisie (OCTT)
5) Forum Tunisien Des Droits Economiques Et Sociaux (FTDES)
6) Coalition Tunisienne Contre La Peine De Mort
7) L’Observatoire Pour La Défense Du Caractère Civil De l’État
8)Association Beity
9) Association Nachaaz
10) Association Tunisienne De Défense Des Libertés Individuelles (ADLI)
11) Association tunisienne pour la justice et l’égalité
12) Association Tunisienne De Défense Des Valeurs Universitaires (ATDVU)
13) Union Tunisienne Des Médias Associatifs (UTMA)
14) Al Bawsala
15) Mountada-Ettajdid
16) Réseau Tunisien Pour La Justice Transitionnelle
17) Union des diplômés chômeurs
18) Association Tunisienne Des Femmes Pour La Recherche Pour Le Développement
19) Association Femme et Citoyenneté du Kef
20) Association Amal pour la Famille et l’Enfant
21) Association Joussour de Citoyenneté (AJC)
22) Association Kalam
23) Groupe Tawhida ben Cheikh
24) Attalaki
25) Musawah
26) Aswat Nissa
27) Association pour la promotion du droit à la différence (ADD)
28) Comité Pour Le Respect Des Libertés Et Des Droits De L'homme En Tunisie
29)Intersction pour les droits et les libertés
30)Fondation Hassan Saadaoui pour la démocratie et l'égalité
31)Plate-forme Tunisienne Des alternatives
32)Association Tunisienne de Défense des Valeurs Universitaires
33)L'association L'ART RUE
34) Ligue des électrices Tunisienne
 
 

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