« L'État est gardien de la religion. Il garantit la liberté de croyance, de conscience et le libre exercice des cultes ; il est le garant de la neutralité des mosquées et lieux de culte par rapport à toute instrumentalisation partisane ». C’est ce qui dit la constitution tunisienne en ce qui concerne la liberté de croyance et de la religion. Il s'agit d'un avantage au niveau des droits civils et libertés individuelles qu’on ne peut pas le voir chez d’autres pays arabes. Un droit garanti par la constitution, mais ce qui vient dans notre esprit, ce droit existe-t-il en réalité en Tunisie, appliqué et respecté à 100%, ou ce n’est juste qu’un ancre sur papier pour camoufler les tentatives à de l’islamisation d’un Etat civil?
En effet, la constitution tunisienne est l’une des premières dans le monde arabe, si ce n’est la première, à reconnaître la liberté de conscience et de croyance. Le concept d'État civil est l'un des ajouts les plus importants qui ont caractérisé la nouvelle constitution tunisienne de 2014.
Les tunisiens, surtout la jeune génération, peuvent jouir de cette liberté loin des préjugés et des persécutions. Un principe fondamental de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Les défenseurs de la démocratie et des droits humains ont, partout dans le monde, salué la nouvelle Constitution tunisienne adoptée le 26 janvier 2014, trois ans après la révolution qui a mis fin au régime de Zine el-Abidine Ben Ali et au système mis en place au lendemain de l’indépendance. Une étape historique considérant la Tunisie comme un modèle pour les autres peuples aspirant à la réforme.
Mais, on peut dire que la révolution a libéré tout ce qui était étouffé par la dictature, le meilleur et le pire : les voix qui aspiraient à plus de liberté et celles qui cherchaient à imposer une théocratie remettant en cause tous les acquis de la société. L’abrogation de la Constitution de 1959 qui reconnaissait, entre autres, la liberté de croyance et d’expression et ne référait la législation à aucune norme religieuse, a relancé le débat au sujet des questions relatives au statut de la norme islamique par rapport à l’État, à la législation, aux mœurs, aux conduites individuelles et collectives.
L’irruption des mouvements salafistes réclamant « la restauration du califat », « l’application de la charia », l’abrogation des « lois impies » et la « réislamisation » de l’État et de la société par tous les moyens, y compris par la violence…
Tous ça a surpris celles et ceux qui vivaient sur l’idée de « l’exception tunisienne » sous le symbole de la « modernité », de la « tolérance », de la laïcité, de l’ouverture sur le siècle et sur le monde, de l’émancipation et des droits de la femme.
Paniqués devant l’irruption d'une autre Tunisie, les laïques ont révisé à la baisse leurs revendications en appelant au maintien de l’article premier de la Constitution abrogée stipulant : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain ; sa religion est l’Islam, sa langue l’arabe et son régime la République ». Ce faisant, ils ont offert aux islamistes un cadeau inespéré. Contrairement à la lecture du père fondateur et premier président, Habib Bourguiba, et des laïques, qui considérait que l’Islam est la religion de la Tunisie et non de l’État tunisien, les islamistes ont toujours affirmé que ce dont il est question dans cet article c’est l’institution de l’Islam comme religion de l’État, et qu’il fallait en tirer les implications à tous les niveaux, législatifs et culturels.
Devant l’attitude timide de leurs adversaires laïques, ils n’avaient plus qu’à négocier un compromis entre les acquis de la constitution de 1959 et les surenchères des islamistes les plus salafistes et les plus arrogants.
Juste pour vous rappeler, en 2012, la mobilisation des femmes et des forces démocratiques avait fait reculer les islamistes qui voulaient remplacer dans la Constitution le principe d’égalité entre les hommes et les femmes par la notion de complémentarité. Dans le cadre du dialogue national, que les islamistes ont fini par intégrer après l’avoir longtemps boycotté, les différents projets de Constitution présentés jusqu’à ce moment-là ont été mis de côté, mais les islamistes n’ont pas totalement renoncé à leur projet.
L’article 6 de la nouvelle constitution reflète une approche large des libertés liées à la conscience en consacrant la liberté de conscience aux côtés de la liberté de croyance. Cette consécration est unique, étant donné que c'est la première fois que la constitution d'un pays d'affiliation arabe et islamique reconnaît explicitement la liberté de conscience. Cette liberté va au-delà du concept étroit de liberté de croyance, qui énonce le droit de l'homme de se convertir à une religion ou conviction de son choix, son droit d'abandonner toute croyance religieuse, de différer son choix ou de ne pas révéler ses convictions intellectuelles et religieuses, comme ainsi que la liberté de changer sa croyance.
Après tous, la liberté de conscience, comportant toutes les implications du concept de liberté de croyance, exprime également le droit d'adopter toute pensée philosophique au lieu d'une croyance religieuse ; mais aussi le droit d’être sans religion.
Alors que, la stipulation constitutionnelle garantissant la liberté de croyance et de conscience perd également son sens si l'exercice de ces libertés ouvre la porte au « blasphème et appelle à la violence, à la haine, et à l'effusion de sang pour des choix religieux, des opinions philosophiques ou des idées artistiques, même s'ils sont choquants et audacieux et contraires à ce qui prévaut et familier.
Il est important de rappeler les faits qui ont conduit à l'inclusion d'un paragraphe de l’article 6 de la Constitution concernant l'obligation de l'État de prévenir et de combattre les appels au blasphème et l'incitation à la haine et à la violence.
On a vu déjà pas de fois au sein de l’assemblée des représentants du peuple des accusations d’apostasie venant de la part des députés islamistes, envers leurs opposants, sur les réseaux sociaux, et même des appels à la violence dans certains mosquées, des espaces censés être neutres, à l’encontre des certains politiciens, et activistes sous prétexte qu’ils sont des ennemi(e)s de l’Islam.
Mais nous savons tous que l’Etat doit s’engager à diffuser les valeurs de modération et de tolérance, à protéger le sacré et à interdire d’y porter atteinte. Il s’engage également à l’interdiction et à la lutte contre les appels au « takfîr » et l’incitation à la violence et à la haine. Quand-même, la liberté de croyance et de la religion touche aussi le côté rationnel et la mentalité de la société.
Les Tunisiens coincés entre religion et modernisme
Les Tunisiens musulmans, majorité écrasante de la population, vivent leur religion et leurs rapports à la religion de manière contradictoire. En effet, ils sont tiraillés entre conservatisme et ouverture, cherchant des compromis et des semi-solutions, ce qui fait ressortir maints paradoxes. Ca ne m’étonne pas de la part d’un peuple qui a voté massivement au mouvement « Ennahdha », le parti islamiste, pendant les élections constituantes en 2011. Il s'agissait de 1 501 320 voix. Comme quoi, c’est un parti qui représente l’Islam, et ses individus « ne vont pas faire tort, ils respectent l’Islam, ce sont des pratiquants opprimés… » Bref le discours religieux était fructueux.
Les islamistes ont exploité les réflexes identitaires les plus conservateurs pour s’opposer à l’abrogation des lois, des réglementations et des mesures liberticides anticonstitutionnelles défendues au nom de la religion, comme les lois homophobes, les lois et les mesures permettant à la police, à la justice et l’administration de poursuivre et de sanctionner celles et ceux qui mangent et boivent en public pendant le mois de ramadan, consomment de l’alcool, se permettent des créations artistiques jugées blasphématoires, sont déclaré(e)s athées ou « adeptes de rituels et de pratiques sataniques », voire « d’hérésies » chiite, bahaï ou kharijite, sans parler des atteintes à l’intégrité physique et morale des personnes LGBT.
Et vous me dîtes que la constitution stipule la liberté de la religion, et la protège? En mois du Ramadan, par exemple, on a vu la police, ) pas mal de fois, faire des campagnes de contrôle sur les cafés, dans la rue, juste pour gêner les non-jeûneurs, il y avait des arrestations.
Par exemple, le jeudi 21 avril 2022, deux citoyens tunisiens ont comparu devant le Tribunal de première instance de la Manouba, pour avoir mangé publiquement pendant le mois de ramadan. Un scandale face auquel des composantes de la société civile comptent réagir. Les deux hommes font face à l’accusation moyenâgeuse d’«atteinte au sacré», qui va à l’encontre du droit universel à la liberté de conscience, lequel est pourtant supposé être protégé par la constitution tunisienne.
Une manifestation baptisée «Mouch bessif», a été organisée ; comme en 2017 et en 2018, pour revendiquer le respect des droits de l’Homme par les autorités tunisiennes, et plus précisément le droit de manger et de boire librement et publiquement pendant le mois de ramadan.
Aussi, on se rappelle tous de l’attaque des salafistes qui s’est passée dans la faculté de lettres de la Manouba, des individus qui croyaient être en Iran ou Afghanistan, pas la Tunisie un Etat civil, qui ont attaqué toutes personnes, accusant les filles de ne pas porter le voile, et qui ont accroché le drapeau de l'ISIS, symbole du terrorisme, à la place du drapeau de la Tunisie.
On cite également le cas d’Emna Chargui, la blogeuse tunisienne aui a été condamnée à six mois de prison ferme pour avoir partagé sur Facebook une publication intitulée « Sourate Corona » parodiant le Coran.
Une condamnation qui a relancé le débat sur la liberté d’expression concernant la religion en Tunisie. La jeune fille a été reconnue coupable d'atteinte à la religion et d'incitation à la haine après avoir partagé le 4 mai deux paragraphes enluminés comme le texte sacré musulman. "Il n'y a pas de différence entre rois et esclaves, suivez la science et laissez les traditions", peut-on lire dans ce texte à la conclusion ironique : "Ainsi parle le grand Jilou". Emna a été convoquée par la police et inculpée pour "atteinte au sacré", "atteinte aux bonnes mœurs et incitation à la violence".
Le rapport sur la liberté religieuse en Tunisie de l'Association "Attalaki" a enregistré les violations religieuses contre les minorités religieuses en Tunisie, des tunisiens qui se sont convertis au christianisme, dont le nombre varie entre 5 000 et 6 000 chrétiens, ou d'autres religions et sectes religieuses telles que baha'is, chiites ou juifs.
Voici donc les libertés garanties en Tunisie post-révolution, oui vous voyez, côté religieux, chacun n’aurait pas peur de dire ses croyances, ses rites, sa philosophie et perception de la religion, ou aussi de se convertir à une autre que l’Islam. L’Etat vous protège, la police vous protège et la société vous accepte…
Et si on supprime la référence à l’islam dans la nouvelle constitution?
Personnellement, j’ai toujours considéré la Tunisie comme un Etat civil, plus au moins laïque, et ouverte par rapport aux autres pays arabes. D’ailleurs, c’est ce que Bourguiba nous a offert: un pays moderniste, et la même chose pour le régime de Ben Ali. Nous avons l’habitude d’être critiqués à cause de nos pensées et mode de vie par la plupart des peuples arabes, comme si on ne respecte pas la religion de l’Islam.
Par ailleurs, il s’agit pour les dirigeants de continuer la laïcisation de l’appareil juridico-politique. La déclaration de l’ancien président de la république, Béji Caïd Esebssi en faveur de l’égalité femmes-hommes, les femmes tunisiennes enfin autorisées d’épouser un non-musulman et la tentative d’’galité successorale, sont des étapes importantes dans l’histoire du pays. La sécularisation de l’Etat pourrait enfin être réalisée surtout dans la nouvelle constitution.
Le doyen et coordinateur de la commission consultative pour une nouvelle République, Sadok Belaid voudrait supprimer la référence à l’islam dans le projet de la nouvelle constitution.
C’est ce qu’a indiqué le doyen dans un extrait d'une interview accordée à l'AFP. Sadok Belaid devrait proposer au président de la République Kaïs Saïed un amendement de l’article premier de la constitution tunisienne dans lequel l’Etat n’aurait pas de religion.
L’Article premier de la constitution de 2014 dispose, lui, ce qui suit : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime ». Les représentants du peuple ayant élaboré la constitution de 2014 ont, rappelons-le, spécifié que cet article premier « ne peut faire l'objet de révision ». Selon le doyen, ceci permettrait de barrer la route à l’islam politique. Il a appuyé son projet par le fait que 80% des Tunisiens s’opposent à l’extrémisme.
N’oublions pas que le président de la république lui-même a pas mal de fois dit que « L’Etat n’a pas de religion ».
Sadok Belaid a été chargé par le président de la République de rédiger une nouvelle constitution. Le projet devrait être soumis au référendum prévu le 25 juillet. Le doyen affirme, toutefois, que son rôle n’est que consultatif et que le projet qu’il soumettrait pourrait faire l’objet de modifications.
En fin de compte, si l’on accepte l’idée que la laïcité se traduit essentiellement par ce principe politique qui établit une séparation institutionnelle stricte entre le pouvoir politique et les différentes institutions religieuses et qui les protègent mutuellement ; si l’on pense que ce principe est au fondement même des libertés individuelles et publiques, en garantissant, notamment, la liberté de conscience et d’expression de chacun ; si enfin on soutient que ce principe fonde l’égalité de tous les citoyens devant l’État et devant la loi, quelles que soient leurs appartenances convictionnelles particulières…
La république tunisienne est assurément laique, même si elle s’en tient au terme politiquement moins connoté, d’ « État civil ».