En mars 2022, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a indiqué que «la prévalence de l’anxiété et de la dépression a augmenté massivement, de 25 % dans le monde, au cours de la première année de la pandémie de COVID-19.»
Dans ce contexte mondial, la Tunisie n’est pas épargnée. D'après la Cellule d’assistance psychologique (CAP), mise en place au début de la propagation de la pandémie, «en 5 semaines, 94 213 tentatives d’appel ont été reçues et seulement 4471 consultations ont été traitées.» Au bout de la ligne verte “9055”, 240 étudiants et psychologues bénévoles gèrent cette cellule à distance.
La CAP a été mise en place le 30 mars 2020, et est réactivée à chaque situation de crise d’envergure nationale, selon Dr Anisa Bouasker, Présidente de la Cellule d'Assistance Psychologique (CAP). «Parmi les consultants pendant la pandémie, on a recensé 60% de femmes, et les 2⁄3 venant du nord de la Tunisie. 7% seulement des appels concernait le Covid. Cela veut dire qu’il y a un besoin en santé mentale. C'était des personnes probablement vulnérables et fragilisée par le stress de la pandémie, dont 40% avaient des antécédents psychiatriques.»
« Les 3⁄4 des cas était des symptômes anxieux, et 2⁄3 des cas sont des symptômes dépressifs. 5% des appels avaient des idées suicidaires.»précise Dr Bouasker. «Les interventions ont varié, certains ont nécessité de l'écoute, des conseils et d’autres, même des hospitalisations. »
La CAP avait organisé son travail d’une façon méthodique: Les patients psychotiques ont été dirigé vers leur secteur hospitalier dans leur régions, les anxieux ont été dirigés vers un e-psychiatre ou un e-psychologue le plus proche de leur domicile, les enfants ont été dirigés vers un-e pédopsychiatre ou un-e psychologue d’enfants, et une ligne verte spéciale a été dédié aux professionnels de la santé.
En effet, le ministère de la Santé a fait aussi profiter les professionnels de la santé de téléconsultations. «Nous essayons aussi de parler avec eux directement afin de les mettre à l’aise et de leur donner des outils pour gérer cette situation difficile. Toutefois, il n’y a pas beaucoup d’appels de la part des professionnels car ils n’ont pas le temps malheureusement de s’occuper d’eux, occupés par leur lutte contre le virus», regrette Dr Bouasker.
Pour sa part, le ministère de la Femme a lui aussi créé un numéro vert d’assistance psychologique, orienté vers les familles et les enfants. Opérationnel depuis le 6 avril 2020, 11 psychologues et pédopsychiatres se sont portés bénévoles à cet effet. «Notre objectif est de prendre en charge les familles et les enfants qui souffrent de troubles à cause du confinement. Dans ces conditions, la relation du couple est affectée et les enfants ont des troubles du comportement tels que l’angoisse, l’énurésie nocturne et les troubles de sommeil car ils ne comprennent pas la raison du confinement. », indique aux médias Asma Shiri, ministre de la Femme, de la Famille, de l'Enfance et des Seniors.
«Nous sommes unanimes, les psychiatres à l'échelle mondiale. Comme toute crise sanitaire qui constitue un facteur de stress impacte sur les gens. Chacun selon son mécanisme de défense: certains ont été affectés jusqu’à la dépression ou l'anxiété. » explique à Shems Fm, Dr. Lotfi Gaha, chef de service de psychiatrie, à l'hôpital Fattouma Bourguiba à Monastir.
D'après lui, l'anxiété est justifiée car «certains ont perdu leur emplois, d’autres ont eu peur de perdre leurs emplois. Certains s'inquiètent pour leur santé et celle de leur proche, en plus des rumeurs qui circulent. On était dans une période où on ne connaissait pas grand chose sur le virus. L’inconnu peut aussi créer le stress, l'inquiétude ou l'anxiété. Les gens n'avaient pas de visions pour les prochaines années, ni même pour les prochains jours. Tous ces facteurs sont importants et impactent sur la santé mentale, en plus de l’isolement et du confinement imposé.»
Dr Lotfi Gaha a participé, ainsi que d’autres spécialités tunisiens à l’enquête Coh Fit, qui est une enquête internationale qui étudie «l'impact de la pandémie et de l'isolement social sur votre bien-être physique et mental.» Les résultats de l’enquête ne sont pas encore publiés.
Mais d'après son expérience professionnelle, le psychiatre précise à Shems Fm que «les signes psychologiques qui ont été palpables et palpés au cours de la crise sont: l'anxiété, l'état de stress post-traumatique ( comme les troubles de sommeil, inquiétudes sur la santé et celle de leur proches, des attaques de panique), la dépression, en plus d’autres symptômes.»
«Pas mal de fois je me réveille en pleine nuit avec la sensation d'étouffement. J’avais du mal à respirer. » témoigne Asma*, 22 ans, pour Shems Fm. « Je ne voulais pas inquiéter mes parents, c'était tellement douloureux que j’en pleurais. Je ne savais pas de quoi il s’agissait car l’un des symptômes du covid à l’époque était le manque d'oxygène.»
Ne sachant pas quoi faire et avec la récidive des symptômes, Asma a décidé un soir, en pleine nuit, à 3h du matin, d'appeler le numéro vert 80101919 réservé aux malades de COVID.
«Le monsieur au bout de la ligne, était très gentil et attentionné, et m’a posé trois petites questions et puis il m’a vite rassuré en m'indiquant qu'il s’agit d’une attaque de panique. Il m'avait demandé de me relaxer, de ne pas penser au virus et de me divertir.»
Par ailleurs, Asma n’avait pas songé à consulter un psy ni à appeler la ligne verte de la CAP. «Je ne savais pas qu’une telle ligne existait. on était plus concentré sur les remèdes contre le COVID que sur notre santé mentale.» précise-t-elle.
Si le cas de Asma était léger, certains cas sont plus graves. «Il y a des symptômes qui ont touché des gens qui n’avaient pas d'antécédents; et il y a aussi une majoration de troubles des patients qui avaient des antécédents psychiatriques.» explique Pr Lotfi Gaha. «Mais ceux-ci, ce sont des néo-symptômes: des nouveaux symptômes qui apparaissent sur les personnes qui sont dans la frayeur et l’inquiétude. Et puis cela dépend des terrains, il y a des terrains anxieux, et c’est à juste titre quand une personne perd son travail par exemple.»
Il a ajouté par ailleurs, que ces troubles ont concerné toute la période de la pandémie, confinement y compris, et même après le confinement. C’est le cas de Mirou Nehdi, coach sportive, qui suit un traitement psychologique depuis le début de 2012, soit une année après la propagation du coronavirus. Elle a choisi de témoigner, ostensiblement, car elle encourage toute personne qui a un mal-être «à défier les préjugés et à aller consulter.»
«J’ai été très perturbé après COVID. J’ai eu une dépression post-COVID. J’avais comme symptômes: une forte palpitation et des angoisses. Je ne me reconnais plus! j’en ai parlé à mon mari et je suis allée consulter une psychiatre. Depuis, je vais mieux. Cela a pris un peu de temps, mais je vais mieux! » Sur son compte instagram, elle prône le partage et le travail sur soi. « Même avec le traitement, j’ai des périodes down comme tout le monde, mais je suis quelqu’un de motivée, je travaille sur moi-même tout le temps. À travers mon compte instagram j’ai choisi de sortir et de partager ça avec mes followers pour leur dire que vous n'êtes pas seuls dans cet état. »
Elle encourage par ailleurs à faire du sport, où elle trouve refuge et le considère comme un remède. « Des fois, j’ai les jambes lourdes pour aller faire du sport, même si j’adore cette activité. Mais je suis disciplinée, c’est comme le médicament, tu dois le prendre même si t’en veux pas, parce qu' après tu iras mieux. Le sport est le meilleur antidépresseur.»
Pour Dr. Gaha,Il aurait fallu une bonne communication pour rassurer les gens. « Pas de messages négatifs ni des messages d’alarmisme, tout en véhiculant la vérité.» «Il fallait communiquer sur les moyens qui aident à dépasser la crise, comme les moyens de prévention individuelle: rester en contact avec autrui, ne pas s'isoler, parler et chercher les avis des autres, bien manger et porter les masques, bouger, se divertir et ne pas rester concentrer sur les infos et les mauvaises nouvelles.» conseille-t-il. « Une bonne communication, c’est ne pas banaliser, ne pas alarmer et ne pas tomber dans le complotisme, tout en encourageant à la vaccination.»
Pour le père de Sami, le sujet est délicat: Il avait perdu sa femme aprés qu’elle ait refusé de se faire vacciner suite à la polémique relative au vaccin Astrazeneca, assigné en Tunisie qu’au plus de 70 ans. Depuis, il est dans un état dépressif, regrettant de ne pas avoir insisté sur sa femme de prendre le vaccin.
Imcappable de témoigner, c’est son fils qui nous relate les faits. « Mon père et ma mère étaient atteints du coronavirus dans la même période. Lui, vacciné, il s’en est sorti après quelques jours. Elle a succombé à la maladie. Depuis, il est dans un état dépressif. Il mange à peine, parle à peine, et ne sort presque plus jamais de chez lui. » déclare Sami ému et confus. « Depuis le décès de ma mère subitement en juillet 2021, il n’est plus lui-même, et il ne veut pas consulter de psy. Avec ma sœur, on s’inquiète vraiment!»
Au niveau du ministère de la Santé, des sources nous ont indiqué que les données sont encore éparpillées et aucune synthèse n'a été encore élaborée à l'échelle nationale concernant l’impact du coronavirus sur la santé mentale des Tunisiens.
Pour sa part, l’OMS a lancé « un signal d’alarme adressé à tous les pays, afin qu'ils accordent plus d’attention à la santé mentale et fassent de plus gros efforts pour soutenir la santé mentale de leurs populations. »