La Tunisie est dans un état de frustration et d'incertitude, ses manifestations se traduisent par le départ de milliers de jeunes vers l'Europe, que ce soit par l'immigration irrégulière ou même par les voies officielles dans ce qu'on appelle le phénomène de fuite des cerveaux, l'état de violence qui imprègne la société et la difficulté de communication entre les membres d'un même peuple, ainsi que l'état de rejet de l'autre, d'insatisfaction à l'égard des services publics. Cet état de frustration est le résultat de plusieurs raisons politiques, économiques et sociétales.
Ces derniers temps, les Tunisiens s'éveillent presque chaque jour aux drames et catastrophes liés à la migration irrégulière. Les flux se poursuivront avec la crise économique et sociale persistante, qui représente le principal moteur de la recherche de meilleures chances de vivre de l'autre côté.
L'arrivée de la fillette de quatre ans seule est aussi l'expression de la frustration des Tunisiens, et même les bien nantis se sont jetés à la mer, et la tragédie de la noyade de toute une famille à Monastir est l'exemple le plus éclatant.
Cet état de frustration s'observe également en cas d'insatisfaction vis-à-vis des services publics, qu'ils soient sanitaires, administratifs, éducatifs, bancaires, avec l'absence d'une infrastructure logistique à la hauteur des attentes des Tunisiens.
C'est un processus cumulatif qui existait avant 2011, qui s'est nourri des données après cette date reflété par les indicateurs électoraux punitifs pendant une décennie que l'on peut qualifier de tromperie politique, de fraude et de banditisme.
Un état d'incertitude généralisée
Il y a un état de frustration chez la jeunesse tunisienne et cela s'exprime de différentes manières. Chaque jeune a tendance à composer avec l'état de peur et la mauvaise humeur générale.
La société tunisienne est dominée en cette période par un état d'incertitude quant à l'avenir de la jeunesse, à l'avenir des écoles et des institutions de service public telles que les hôpitaux publics, la justice, l'administration, et le transport public.
Cet état d'anticipation mêlé à une sorte de peur et de frustration s'exprime de différentes manières d'une personne à l'autre et d'un niveau social ou scolaire à l'autre. Avec cette situation, il y a ceux qui ont choisi d'interagir avec elle en consommant de la drogue et même en recourant à la violence pour exprimer leur rejet de cette situation, ce qui s'observe dans les mouvements de jeunesse contestataires face aux forces de sécurité.
Il y a aussi des jeunes qui ont été exploités par des réseaux terroristes et déportés vers des foyers de tension.
Par ailleurs, même ceux qui sont relativement aisés financièrement, l'humeur générale les a affectés, d'autant plus qu'ils sont en constante interaction avec des personnes qui traversent des conditions économiques et sociales difficiles, ce qui conduit nécessairement à la prévalence d'une humeur générale turbulente mais aussi tendue.
L'état d'incertitude généralisée sur la crise économique que traverse le pays, d'anticipation, de peur se poursuivent suite à la pandémie de Corona et à la perte de vies humaines, et de ressources économiques qu'elle a laissées.
Nous avons espéré atteindre un état de libération et de détente après covid-19, mais la crise économique a brouillé la question en plus de la rareté des produits. Nous avons connu une pénurie de carburant, et avant cela une crise de l'huile végétale, du lait et de l'eau minérale. Ces produits sont actuellement disponibles, mais l'anticipation de les perdre conduit l'humeur générale à vivre dans l'idée d'une incertitude généralisée et globale. Cette incertitude ne peut que laisser la peur et l'agitation dans les humeurs et la violence.
En outre, le taux de pauvreté, de chômage, les taux élevés de suicide même chez les enfants, les conflits politiques, la violence, la criminalité et l'effondrement économique conduisent à la frustration et à la dépression.
Le citoyen tunisien vit une épreuve personnelle qui se manifeste dans le partage de la pauvreté avec les autres, rêvant de fonder une famille, d'obtenir une bonne opportunité de travail, de voyager à l'étranger et de partager son épreuve avec les gens d'un même pays, à qui il manque une vision d'avenir, l'absence d'alternative, avec l'échec politique continu depuis la révolution.
C'est quoi donc la solution?
Pour sortir de l'état de frustration, il faut développer un projet sociétal, et l'absence de ce projet se traduit par l'absence d'un discours politique clair pédagogiquement.
Au début de son règne Bourguiba a insisté, dans un langage simple et fluide, sur la nécessité pour les Tunisiens d'enseigner leurs enfants, de construire des écoles car c'est dans leur intérêt et la nécessité de recourir aux hôpitaux en cas de maladie, de ne pas aller vers ce qu'on appelle la médecine pastorale et la sorcellerie.
La nécessité de penser à un salut collectif pour sortir de l'état de frustration, et cela nécessite la présence d'un leader qui crée de l'espoir, du projet et du rêve.
Le rêve américain a été fait par une volonté dont le slogan est "We Can". Plusieurs pays ont traversé des catastrophes, des tragédies et ont redonné espoir. Le Japon après que la bombe d'Hiroshima a pu se lever, l'Allemagne, qui est sortie de la guerre, s'est effondrée, s'est relevée, maintenant classée parmi les économies les plus fortes du monde.
Cela est dû à l'existence d'un leadership politique qui a su créer de l'espoir. Aujourd'hui, il nous manque un leadership politique capable de créer un espoir et un rêve purement tunisiens.